CHAPITRE 13

Ari était assise sur une chaise blanche en plastique près du lit de Spence. Les infirmières venaient d’éliminer de ses cheveux les dernières traces de la poudre bleue antiseptique. Un côté de son visage présentait l’aspect tuméfié et rougeâtre d’un coup de soleil. Il n’avait pas l’air plus mal en point que s’il s’était endormi à la plage en plein midi.

La respiration du patient était lente et régulière ; le docteur avait dit que le pire était passé. Il y aurait une légère inflammation et une douleur due à l’inhalation du produit chimique, mais rien de grave. Le médecin avait dit que c’était un miracle que Spence n’ait pas été suffoqué par la poudre. Sa peau serait un peu douloureuse pendant environ une semaine et se mettrait à peler. Spence avait eu la chance, remarqua le Dr Williams, de ne pas tomber à la renverse dans la cabine. Il aurait pu devenir aveugle sous la lumière ultraviolette. Tout compte fait il s’en était bien tiré.

« Vous avait-il parlé de son premier “accident”, Mlle Zanderson ? demanda le Dr Williams.

— Non. Il avait parlé de s’être cogné la tête, je crois. Il paraissait aller bien. Je n’aurais jamais cru…

— Oh mais c’est sérieux ! Notre jeune ami manifeste de très nettes tendances à l’autodestruction. On l’a retrouvé dans le sas de la soute le verrou de sécurité ouvert. Il a failli mourir. Je ne devrais pas vous raconter cela, vous savez, mais il ne semble pas avoir d’ami proche – à part vous, bien sûr. »

Ari fronça les sourcils et se mordit la langue. « Que puis-je faire, docteur ? »

Le médecin hocha lentement la tête. « Seulement le surveiller. Essayer, si vous le pouvez, de le faire parler sur l’origine de ces attaques. On va l’observer et attendre. Il vaudrait mieux, pour le long terme, qu’il fournisse spontanément l’information. Si nous le pressons trop fort et que nous essayons de lui arracher une explication, cela pourrait la refouler plus profond encore.

« Bien sûr, en cas de problème grave, nous interviendrons. Je préférerais que nous n’en arrivions pas là. Lui non plus, j’en suis sûr. Comme pour beaucoup d’hommes dans sa position, la mention d’un tel incident dans son dossier pourrait le couler professionnellement. »

Ari avait écouté le Dr Williams très attentivement et l’état confus de ses sentiments se lisait sur son visage. Elle avait l’air si malheureux quand il eut fini de parler qu’il se sentit obligé de la réconforter et de minimiser ses pires prédictions. « Pardonnez-moi d’avoir parlé en toute franchise, dit le médecin en manière d’excuse. Je pars toujours de l’hypothèse du “pire”. J’ai peut-être un peu noirci le tableau. Il se remettra. Votre Dr Reston est un homme volontaire. Il s’en sortira, j’en suis sûr. »

Ari remercia le docteur et il partit, la laissant au chevet du lit. Pour passer le temps elle se mit à repenser aux dernières paroles du médecin : votre Dr Reston. Était-ce donc aussi évident ?

Un peu plus tard, une infirmière lui apporta une tasse de café et s’installa auprès d’elle pour bavarder un peu. Il n’y avait pas d’autre patient pour le moment dans cette partie de l’infirmerie et Ari pouvait y rester autant qu’elle le désirait. « Vous pouvez même vous étendre sur un des autres lits, suggéra l’infirmière.

— Je ne suis pas fatiguée et cela ne m’ennuie pas d’attendre. Mais merci pour le café. »

L’infirmière sortit, ayant baissé la lumière, plongeant ainsi la pièce strictement fonctionnelle et immaculée, dans une pénombre rafraîchissante. Ari entendit la porte se refermer et, croisant les mains sur ses genoux, la tête baissée, se mit à prier.

Le sommet doré de sa tête baissée fut la première chose que vit Spence à son réveil.

« J’ai l’impression de toujours me réveiller ici. » Sa voix était un murmure enroué. Ses poumons étaient en feu et sa gorge comme écorchée vive.

Elle releva la tête et sourit. « C’est parce que vous vous endormez dans de drôles d’endroits.

— Vous êtes au courant, alors ? »

Elle acquiesça de la tête et le regarda avec des yeux dont le bleu semblait plus profond, comme s’ils avaient foncé pour mieux exprimer leur sympathie.

« Vous auriez pu m’en parler vous-même », dit-elle.

Spence haussa les épaules. « Il n’y avait pas grand-chose à dire.

— Comment vous sentez-vous ?

— Cela va.

— Votre voix n’est pas fameuse.

— Merci. » Spence fut soudain pris d’une quinte de toux. De ses poumons, les flammes remontaient et incendiaient sa gorge.

Ari se leva précipitamment et saisit un verre d’eau glacée qui se trouvait sur un plateau à côté de son lit. « Tenez, buvez un peu. » Tout en tenant le verre elle dirigeait la paille vers sa bouche. « Cela va mieux ?

— Beaucoup. » Ils se regardèrent un moment en silence, puis Spence détourna son regard.

« Était-ce si grave, cette fois-ci ? » Sa voix était ténue et lointaine.

Ari vint s’asseoir sur le rebord du lit. Elle posa la main sur son bras. « Vous ne vous souvenez pas ?

— Je ne me souviens de rien. »

Elle plaça une main fraîche sur sa joue et lui fit tourner la tête dans sa direction. « Cela ira, Spence. Tout ira bien. »

Sous la lumière indirecte émise par des panneaux renfoncés dans le plafond, Ari se transformait à ses yeux en ange bienfaiteur, accouru à son secours dans un moment de détresse. Ses cheveux étalaient l’éclat de leur blondeur et ses yeux brillaient avec une calme assurance. Un sourire retroussait ses lèvres et les ombres caressaient la courbe de sa joue lisse.

Il leva une main vers son visage et la regarda dans les yeux. Elle prit la main dans la sienne et y porta ses lèvres. Spence se sentit revivre. Il serra sa main et l’attira vers lui.

« Combien de temps dois-je rester ici cette fois ? demanda-t-il enfin.

— Le docteur a dit vingt-quatre heures au minimum, mais en fait cela dépend de vous. Comment vous sentez-vous ?

— Fatigué.

— Je vais vous laisser vous reposer. » Elle se leva du lit et replaça sa main sur sa poitrine en la serrant légèrement.

« Non, je ne voulais pas dire…

— Chut. Ne vous en faites pas. Je reviendrai. Essayez de dormir maintenant. » Elle lui sourit de nouveau avant de se retourner pour sortir. « Vous m’avez fait peur. Pendant un moment, j’ai cru que c’était la mousse.

— Je ne l’avais pas mangée, vous vous souvenez. » Il eut un faible sourire.

« Bonsoir, Spencer. »

Il ferma les yeux et sombra dans un sommeil profond et régulier.

 

« Il a résisté à la tentative de connexion de pensée », dit carrément Hocking. Il n’aimait pas reconnaître ses échecs, particulièrement devant Ortu. Les conséquences étaient souvent déplaisantes.

Les yeux jaunes d’Ortu se plissèrent tandis qu’il lançait un regard froid de colère du centre du halo lumineux. « Et alors ?

— Ce sujet a une volonté de fer, Ortu. Je ne sais pas où il a trouvé la force de résister. Cette fois-là, il ne semblait vraiment pas possible qu’il puisse tenir.

— Il me semble qu’il y a beaucoup de choses que tu ne connais pas, et beaucoup trop de choses impossibles. Cela ne me va pas du tout. Je ne suis pas content de toi, Hocking. » Le bandeau métallique qui entourait son front émit des vibrations plus rapides. Hocking s’efforçait de maîtriser le ton de sa voix. « Un léger contretemps. Un petit retard. Nous y sommes presque. La prochaine fois…

— La prochaine fois ! » La figure fripée se déforma soudain dans un violent accès de rage. Les lèvres minces de la bouche s’ouvrirent découvrant une rangée régulière de dents brunes et acérées. Les yeux jaunes lançaient des flammes et l’anneau lumineux tremblait. « La prochaine fois ! C’est toi qui parles de la prochaine fois. Moi seul, Ortu, décide de ce qui sera. L’aurais-tu oublié ? » Hocking s’enfonça dans son siège comme si c’était une coquille dans laquelle il pût se cacher. Ses doigts pianotaient mécaniquement sur le plateau situé devant lui.

« Je n’ai pas oublié. Comment le pourrais-je ? » Il y avait un accent glacé de haine dans la voix du subalterne.

Les yeux d’Ortu se plissèrent de nouveau. « C’est moi qui t’ai fait ce que tu es. Je peux te détruire. Quand tu es venu à moi tu n’étais qu’une masse de chair informe. Je t’ai sauvé, j’ai nourri ton intelligence, accru le pouvoir de ton cerveau. Ne fais pas semblant maintenant d’être désolé. C’est trop tard pour cela, pauvre impuissant. Beaucoup trop tard.

— Je ne pensais pas à mal en disant cela, Ortu. Je voulais simplement vous demander de pardonner mon erreur. » Hocking avala sa salive et continua à fixer le halo de lumière bleue. Sa réponse parut calmer son imprévisible maître. Ortu sembla reculer et ses traits convulsés se détendirent, redevenant figés et indifférents comme s’il avait été taillé dans la pierre.

« Que voudriez-vous que je fasse ? » demanda Hocking. Il respirait plus facilement.

« Nous sommes maintenant sur un terrain dangereux. Une nouvelle tentative pourrait le briser et le rendre inutilisable pour nos projets. Cela pourrait le tuer. Ces éventualités seraient l’une comme l’autre regrettables. Cela voudrait dire qu’il faudrait repartir de zéro. Je n’ai pas l’intention de tout recommencer. Par ailleurs, ses capacités de résistance m’intéressent. Nous allons continuer.

— Comme vous voudrez, Ortu. Je vais lui laisser le temps de reprendre des forces, puis j’accroîtrai la fréquence des suggestions dans ses rêves. Cela devrait réduire suffisamment les défenses de son cerveau.

« Reston est après tout un excellent sujet. Nous avons déjà recueilli chez lui une très riche imagerie de ses états de rêve. Je n’aurai aucun mal à modifier le contenu de ces rêves pour atteindre notre but.

— La prochaine tentative ne peut pas échouer », dit Ortu en guise d’avertissement. La voix était neutre, dépourvue de colère ou d’ironie. Ces mots glacèrent Hocking jusqu’à la moelle.

« Elle n’échouera pas. »

Le halo s’assombrit et s’évanouit progressivement. Hocking le fixa jusqu’à ce qu’il ne reste plus rien qu’une vague lueur dans l’air. Et puis, cela même disparut. Le siège ovoïde pivota en silence et sortit de la pièce vide.

« J’ai été trop bon avec lui, murmura Hocking. Je l’ai laissé échapper. Mais plus jamais. Je le briserai comme un morceau de bois. Il verra à qui il a affaire. Reston rampera devant moi. »

Le voleur de rêves
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